Noël d’un chat noir
par Journal L'Attisée le 2015-11-30
Boum! Ça fait un petit boum quand j’ai atterri.
Un boum de chat qui tombe du ciel, ou pour être plus précis, qui dégringole de la lune. Car c’est sur la lune que j’habite. On a beau dire qu’un chat retombe toujours sur ses pattes, tomber de la lune, c’est pas rien! J’étais là, dans mon quartier tout bien tranquille, tout bien assis, quand j’ai eu l’ordre de sauter. Pourquoi? que j’ai demandé. On m’a répondu que moi aussi, il fallait que j’aille adorer sur la terre.
Adorer. Je sais toute l’histoire. Et me voilà en route à la recherche d’une étable, mais on ne m’a pas dit laquelle; là-dessus, je n’ai aucun renseignement. Ça fait des dizaines de champs de neige que je traverse; il y a des étables partout.
Vvvvvvv … Oh! que je suis gelé! Je ne sens plus mon oreille droite. Je n’ai que mon instinct de chat gelé pour me guider, n’importe! Il faut que je fasse confiance à mon instinct. Tiens, chanter ça va m’aider : Courons! Courons! Pour pas que les tites pattes, elles gèlent. Courons! Courons! Pour pas que les p’tits pieds gelont! Tiens … encore une étable. Oh … oh … Je … oh! mes pattes … mes pattes me tirent… me poussent. Et je ne cale plus dans la neige … Ici, peut- être, cette étable … Oui … oh
… c’est elle, je le sens. Je vais m’arrêter, grimper sur le rebord d’une fenêtre et attendre.
C’est long. J’attends toujours. J’attends. Seigneur que j’ai frette! Je tremble … mais c’est surtout à l’idée qu’ici, tout à l’heure … oh! mon Dieu que je tremble! Au travers les toiles d’araignées, je peux voir les animaux à l’intérieur : les vaches qui mâchouillent tout bonnement, le bœuf, le cheval, chacun dans un enclos, les fesses croûtés de fumier. J’entends caqueter les poules dans le fond là-bas.
Vvvvvvvvv … que j’ai frette! Est-ce qu’il ne devrait pas y avoir un âne pour le souffle chaud. Ah! Le souffle chaud! Il me semble qu’il faudrait nettoyer un peu, tout laver à grande eau, en tout cas embellir un petit coin. Près du veau qui tète encore; c’est le coin le plus avenant.
Mais non, je me rappelle qu’il ne faut rien adoucir, ne rien embellir, laisser les choses, le monde à leur dureté coutumière. Je sais toute l’histoire. Si seulement la porte pouvait s’entrouvrir! Que je me faufile. Que je m’approche enfin … Vous frôler … la Mère, le Père. Me coucher avec vous, doux Petit, dans la crèche, ronronner paisiblement à vos pieds, comme un chat de bonne volonté. Je sais bien que vous ne me tirerez pas la queue.
Ah! si quelqu’un peut venir!
Monique Miville-Deschênes