Cabanes à sucre de chez nous (suite)
par Journal L'Attisée le 2020-02-08
Production acéricole chez les premiers pionniers européens
À partir du dix-huitième siècle, le sucre d’érable semble bien intégré au régime alimentaire de la population1. Une ordonnance du 20 mars 1716 nous révèle que les habitants de Bellechasse « vont tous les printemps sur les terres de ladite seigneurie non concédée, et même celles [du] domaine, entailler les arbres d’érable pour en tirer de l’eau pour faire du sucre 2». On peut supposer qu’il en est de même dans Montmagny-L’Islet; les territoires sont limitrophes et ils se sont développés à peu près en même temps.
Le sucre d’érable en dragée est un bonbon que le roi Louis XIV affectionne particulièrement, et c’est une femme d’affaires (ce qui est rare pour l’époque) et une manufacturière de Montréal, Agathe de Repentigny, qui se charge de lui en faire parvenir. Ce qui est cependant le plus marquant au cours du siècle que l’on qualifie de celui des Lumières, c’est le regard de la science, autant sur l’érable à sucre que sur les vertus de l’eau d’érable et du sucre d’érable, dont la consommation est généralisée en Nouvelle-France en 1749, comme attesté par le biologiste suédois Pehr Kalm3.
Tout au long du 17e siècle, les témoignages concernant l’eau d’érable se multiplient, confirmant une lente évolution de la consommation du sucre d’érable. Dans la deuxième moitié du 17e siècle, puis au 18e, les allusions à l’exportation de sucre d’érable en France comme curiosité culinaire se font plus nombreuses4.
La production de sucre d’érable par les colons commence vers la fin des années 1700 et le début des années 1800. Les colons forent des trous dans lesquels ils placent des chalumeaux en bois. La sève est recueillie dans des troncs évidés puis transportée dans une sucrerie (ou plus communément appelée cabane à sucre), où elle est transformée en sirop dans de larges marmites en métal placées sur le feu. Avec le temps, les innovations en matière d’évaporation ont écourté le temps nécessaire pour réduire la sève. Des améliorations sont également apportées quant aux méthodes utilisées pour entailler les érables et acheminer la sève à la cabane à sucre5.
Figure 1- Évaporation de l’eau d’érable dans des marmites
Le 19e siècle sera celui du passage d’un certain archaïsme dans les techniques d’entaillage et de récolte à de nouveaux moyens que la recherche et la science mettent à la disposition des acériculteurs. De l’entaille avec incision faite à coups de hache au vilebrequin, du seau de bois à la chaudière en métal avec couvercle, du chaudron en métal qu’il fallait retirer du feu à l’évaporateur et de l’abri en branchages à la cabane de planches, la production évolue lentement vers le modèle que nous lui connaissons encore actuellement, dans ses caractères généraux et excluant les appareils utilisés au 20e siècle. Ce n’est qu’au début des années 1950 que l’on découvre une méthode permettant la conservation du sirop d’érable et que l’on invente le beurre d’érable et la conserve de 540 ml (la fameuse « canne »), toujours en usage6.
Figure 2- Cabane à sucre typique du XVIIIe siècle
Dans les années 1920, on voit apparaître la classification du sirop d’érable en cinq catégories. Durant la deuxième moitié du 20e siècle, le consommateur remplace progressivement le sucre d’érable par le sirop d’érable. On le trouve maintenant dans les grandes surfaces, dans un nouveau format mieux approprié aux besoins des acheteurs de plus en plus urbanisés. En effet, ceux-ci délaissent l’épicerie du coin pour les supermarchés et les artères commerciales pour les centres commerciaux. C’est également à cette époque qu’un concours de dessin est organisé par le ministère de l’Agriculture pour orner la conserve de sirop d’érable, dessin qui apparaît encore aujourd’hui sur nos conserves7.
Au tournant du 21e siècle, la promotion des produits de l’érable, leur « désaisonnalisation » et, vers 2005, la recherche et l’innovation vont marquer la commercialisation des produits de l’érable, notamment par la découverte du Quebecol, une molécule propre au sirop d’érable qui fait partie de la famille des polyphénols8.
Premières cabanes à sucre de notre région
Malgré quelques références explicites, il est assez difficile de retracer toute l’histoire des érablières de notre région; les pionniers qui les ont exploités n’ont généralement pas laissé de traces et, sont disparus depuis fort longtemps. Les vieux contrats notariés ne sont pas très loquaces sur le sujet; ils font référence à des terres avec bâtisses et dépendances sus-dessus construites mais rarement à des cabanes à sucre.
Les carnets des arpenteurs font état du potentiel acéricole des territoires qu’ils ont visités mais souvent sans localisation précise. Le rapport de Joseph Bouchette de 1830 mentionne que les terres des quatre de concessions de la seigneurie du Port Joly sont aux mains des gens de la paroisse; la première, deuxième et une partie de la troisième concession sont en culture alors qu’on exploite le bois et le sucre d’érable dans le reste du territoire9. Dans son rapport sur la colonisation en 1859, Stanislas Drapeau mentionne que les familles qui vivent sur les terres de la couronne, habitent dans des abris de fortune ou des cabanes à sucre10.
Le recensement agricole de 1861 nous permet enfin d’associer des noms à la production acéricole; on y retrouve le nombre de livres de sucre d’érable produit. Avec beaucoup de patience et à l’aide de contrats notariés, on peut enfin commencer à retracer l’histoire de nos érablières. Rien ne vaut toutefois les histoires des familles pour confirmer et étoffer les renseignements précédents. Le recensement agricole de 1861 s’est détérioré avec le temps et plusieurs pages ne sont plus lisibles; le tableau qui suit nous présente les résultats partiels qui ont pu être extraits.
Tableau 1- Production de sucre d’érable dans la MRC de l’Islet en 186111
Paroisse | Livres de sucre |
Canton Ashford | 2,525 |
Autres cantons12 | Renseignements perdus |
L’Islet | 56,790 |
St-Aubert | 60,79913 |
St-Cyrille | 22,065 |
Ste-Louise | 16,975 |
St-Roch-des-Aulnaies | 21,761 |
La plupart des premières cabanes à sucre étaient modestes; la production était souvent écoulée dans la famille et le voisinage immédiat. Elles étaient nombreuses; la famille et les amis y allaient joyeusement fêter le printemps. Les érables étaient entaillés au vilebrequin et on y accrochait une chaudière ou un casseau. L’eau était ramassée à la main et bon nombre d’acériculteurs possédait un cheval pour les aider dans leurs tâches. La précieuse cargaison était amenée à la cabane pour la faire bouillir. La production variait grandement au gré des aléas de mère nature; tantôt rien et tantôt si forte qu’il fallait quasiment travailler 24 heures sur 24. Les familles étaient nombreuses et cela n’était pas un problème car il y avait pratiquement toujours du monde pour aider. La saison des sucres commençait souvent avec le début officiel du printemps et s’étalait sur 3 ou 4 semaines. Il arrivait qu’on entaille aussitôt qu’en février lorsque le printemps était hâtif et cela arrivait apparemment plus souvent que maintenant.
1 ANQ, Québec, Greffe de Étienne Janneau, 15 novembre 1708, acte 21, Partage entre la bonne femme Miville et ses enfants.
2 Pierre-Georges Roy, Inventaire des ordonnances des intendants de la Nouvelle-France conservées aux Archives provinciales de Québec Beauceville, L’Éclaireur, 1919 vol. 1, p. 159.
3 Érable du Québec, L’histoire de l’érable, c’est aussi celle du Québec d’hier à aujourd’hui, informations tiré.es du site Internet : https://erableduquebec.ca/a-propos/histoire/ le 29 août 2019.
4 Ibid.
5 L’Encyclopédie canadienne, Op. cit.
6 Érable du Québec, Op. cit.
7 CDS Boutique.com, Si l’histoire de l’érable m’était contée, information tirée du site Internet : www.cdsboutique.com/fr/blog_old/saviez-vous-que/si-lhistoire-de-lerable-metait-contee le 28 août 2019.
8 Érable du Québec, Op. cit.
9 Comité du tricentenaire de St-Jean-Port-Joli, Saint-Jean-Port-Joli 1677-1977, Imprimerie Fortin ltée, La Pocatière, 1977, p. 77.
10 Culture et communications Québec, Les chemins de la colonisation, information tirée du site: www.encyclobec.ca/main.php?docid=228 le 16 mars 2009. Document original de Stanislas Drapeau sur l’état des chemins de la colonisation pour 1959.
11 Les renseignements fournis proviennent de lieu de résidence de l’acériculteur et pas nécessairement de l’endroit où il exploite son érablière. Plusieurs paroisses ne sont pas mentionnées car elles n’étaient pas encore fondées en 1861 (Saint-Damase, St-Eugène et toutes les paroisses de L’Iset-Sud).
12 Culture et communications Québec, Les chemins de la colonisation, information tirée du site: www.encyclobec.ca/main.php?docid=228 le 16 mars 2009. Document original de Stanislas Drapeau sur l’état des chemins de la colonisation pour 1959.
13 Il y a une page de complètement illisible au travers du recensement agricole de Saint-Aubert; la production acéricole de la paroisse est nécessairement plus élevée qu’indiquée dans le tableau.