Menu principal

Les amis du Port-Joli vous informe - Mai 2020
par Journal L'Attisée le 2020-05-15


Naufrage de la goélette « Le Port-Joli »


Le naufrage de la goélette Le Port-Joli du capitaine Cyrias Babin de Saint-Jean-Port-Joli est relaté avec trois dates différentes, mais le récit est le même. Voici donc les trois versions.


Le 27 novembre 1845


Le 27 novembre 1845, vers 4 heures de l’après-midi, part pour Québec une goélette ayant à son bord le capitaine Cyrias Babin, François Chouinard, Joseph-Raphaël Antil, dit Saint-Jean, tous trois de Saint-Jean, Louis-Toussaint (Louison) Pelletier et Amable Fortin, tous deux de Saint-Roch. La goélette porte une cargaison de bois. La pluie et l’obscurité forcent tôt le capitaine à mouiller, à peu de distance de la Pointe aux pins. Le temps se refroidit, et, pour comble de malheur, la brise de nord-est dégénère en ouragan. Jeté à la côte, le navire craque de tous ses membres et finit par être désemparé. Désespérés, les trois marins et leurs deux passagers se recommandent à Dieu et promettent une grand’messe s’ils sont saufs. Les vagues balaient le pont, envahissent la cabine. La lame emporte Antil et Babin ; Chouinard est étendu, blessé, sur le gaillard d’avant. Pelletier et Fortin décident alors de gagner l’Ile-aux-Grues pour quérir du secours. Quand ils reviennent ils trouvent Chouinard gelé sur la grève où il s’est traîné. La mer rendra par la suite les cadavres de Babin et d’Antil1.


Le 28 novembre 1847 : Naufrage de l’Île-aux-Grues


Le 28 novembre 1847, cinq hommes partent de Saint-Jean-Port-Joli et montent à Québec sur une goélette chargée de bois. Une tempête s’étant déchaînée, les marins cherchent le refuge dans le havre de la Pointe-aux-Pins, à l’extrémité ouest de l’Île-aux-Grues.


Le vent frappe avec brusquerie. Un mât est brisé et il s’abat alors sur le pont blessant deux des matelots. Le bateau s’échoue sur le sable. Les trois matelots qui n’ont pas été blessés, vont chercher de l’aide, ils descendent à terre pour se rendre au manoir de l’Île-aux-Grues. En chemin, saisis par le froid vif, les pauvres hommes peuvent à peine avancer.

Finalement, un matelot tombe mort et les deux autres gagnent les maisons au bout de leurs forces. Ils racontent ce qui se passe et les gens vont chercher les blessés, mais ils ne trouvent que leurs corps inanimés.2


Le 27 novembre 1850


Au sujet du naufrage de la goélette de Cyrias Babin, un autre récit écrit par Arthur Fournier existe. La date du naufrage est la même, mais l’année est différente, soit en 1850. Quelle est la bonne année? Voici donc ce récit qui nous précise le nom de la goélette : Le Port-Joli.


Voici le récit d’une petite goélette qui, ayant été prendre une cargaison de bois de corde, à l’Anse-d’en-Bas, situé à « La-demie-Lieue », à environ un mille et demi ou deux milles à l’est de l’église de Saint-Jean-Port-Joli, et une fois bien chargée partit de cet endroit pour se rendre à Québec, dans le but de vendre ce bois à l’un des nombreux marchands s’occupant du commerce du bois.


La saison était avancée, c’était le 27 novembre 1850. Ce jour-là, le vent d’est commença de bonne heure dans l’après-midi à souffler et dès le soir la brise était déjà violente ; le temps était menaçant et couvert. Le capitaine, Cyrias Babin et son compagnon Joseph Saint-Jean, eurent l’imprudence de lever l’ancre vers le soir pour profiter de la marée et du bon vent, comptant se rendre à Québec dans le cours de la nuit ; rendus là on était en sûreté.


Malheureusement les choses n’allèrent pas comme on l’avait pensé ; ils ne furent pas plutôt rendus au large, que le vent redoubla et se mit à souffler avec une terrible violence. Le ciel était noir, affreusement noir et pour ajouter à l’horreur de cette affreuse nuit qui s’avançait rapidement, la neige se mit à tomber, légère d’abord puis plus lourde et s’épaississant peu à peu. Bientôt il leur fut impossible de se diriger avec sûreté ; ils se croyaient toujours dans le bon chenal tandis qu’ils s’approchaient insensiblement, à leur insu, des îles dont cette partie du fleuve est parsemée.


Bientôt le bâtiment toucha le fond : les pauvres navigateurs étaient perdus. Au milieu de l’obscurité la plus profonde, ils se virent le jouet des flots d’une mer démontée, au milieu des éléments déchainés ; tout espoir de salut leur parut impossible et les jeta dans le plus affreux désespoir. Des vagues énormes balayaient le pont, emportant tout ce qui s’y trouvait, et les malheureux s’accrochant aux cordages, se lamentaient en recommandant leur âme à Dieu.


Par surcroit de malheur, il faisait un froid excessif ; la température s’était subitement abaissée, comme cela arrive fréquemment en cette saison ; l’eau se congelait sur la surface du bois et des cordages, de sorte qu’il était à peu près impossible de se transporter d’un endroit à l’autre du bateau afin d’essayer quelque manœuvre, avec l’affreux roulis qui les secouait sans relâche. Quelle terrible et longue nuit ces pauvres marins durent passer au milieu de tant de souffrances physiques et morales! Dieu seul le sait!

Bientôt la pauvre goélette, prise, retenue entre des rochers, commença à se démolir pièce à pièce ; sa cargaison de bel érable contenue dans sa cale dont les panneaux avaient été arrachés par l’effort des lames, alla rejoindre les autres épaves ; la voilure devenue épaisse de glace céda sous l’épouvantable rafale et tomba à la mer avec tous ses agrès ; la mâture elle-même finit par s’ébranler par les chocs que la coque leur imprimait, dans le continuel ballottement sur le récif qui la retenait prisonnière, et à un moment donné s’abimèrent dans les flots, entr’ouvrant la carène du vaisseau qui ne fut plus qu’une misérable épave encaissée sur son rocher.


Imaginons, s’il est possible, la lamentable situation des deux pauvres naufragés, toujours cramponnés aux parties du vaisseau restés solides!... Il faut être marin et avoir vu de ses yeux le grandiose et affreux spectacle des éléments déchainés pour en comprendre toute l’horreur!... La perspective d’une mort affreuse et inévitable ; les flots mugissants qui les soulèvent à chaque instant pour les engloutir ; le sinistre sifflement du vent dans les cordages, dans la nuit la plus obscure ; la neige qui tombe en épaisse rafale qui les étouffe et les aveugle ; enfin le froid intense qui s’ajoute à tant de maux réunis leur fait subir à la fois toutes les tortures et une agonie atroce. Voilà ce que durent endurer ces martyrs de la mer.


Le moment vint enfin où la mer, toujours furieuse, dut obéir aux lois impérieuses de la nature : le reflux s’opéra et laissa la triste épave, entr’ouverte et démantibulée, immobile sur son lit de rochers. Si l’épave était à peu près à sec ainsi que les récifs qui l’environnaient, il restait cependant encore un large espace couvert de deux ou trois pieds d’eau pour atteindre le rivage de l’ile. Dès les premières lueurs du jour, les pauvres naufragés résolurent, malgré leur épuisement, d’essayer de se rendre à terre pour échapper à la mort. Transis de froid, engourdis, grelottants, mouillés jusqu’aux os, avec leurs vêtements raidis par la glace qui s’y était formée, ils se laissèrent tomber plutôt qu’ils ne descendirent, sur les rochers couverts d’une glace épaisse et glissante. Leur fatigue, joint à l’engourdissement dont tout le corps était envahi, était telle qu’ils hésitèrent à se jeter à l’eau dont ils ignoraient la juste profondeur. L’obscurité les empêchait aussi de mesurer du regard la largeur exacte qui les séparait de terre ; ils restèrent là un moment en proie à la plus poignante angoisse!... Mais il fallait se hâter, car bientôt ils savaient que le flux de la marée montante leur rendrait ce passage impossible, et, cette fois, ce serait la mort. Après s’être recommandé à Dieu, à la Vierge, à leur bon ange et à tous les saints du ciel, ils se laissèrent glisser dans l’eau, où ils s’enfoncèrent jusqu’à la ceinture ; les lames furieuses les submergeaient à chaque instant et menaçaient de les engloutir. Leur marche vers la plage s’opérait avec une lenteur désespérante ; cent fois ils furent sur le point de tomber dans cette eau glacée : enfin ils atteignirent la terre.3, 4


Suite le mois prochain.


Nous vous souhaitons d’être patients en écoutant les consignes du gouvernement. Soyons vigilants afin d’avoir un retour à une vie plus normale. Ça va bien aller.


Pour soutenir Les amis du Port-Joli, devenez membre : membre individuel : 10 $/an et membre corporatif : 25 $/an. L’adresse est : C. P. 893, Saint-Jean-Port-Joli (Québec) G0R 3G0. Merci.

  1. Extrait de Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joli, Gérard Ouellet, Les Éditions des Piliers, 1946, Réédité par le Bureau du tourisme de Saint-Jean-Port-Joli, 2001, p. 122.
  2. Extrait de Histoire du Québec : naufrages les plus connus au Québec.
  3. Extrait de Mémorial d’Arthur Fournier, Saint-Jean-Port-Joli, p. 342 à 349.
  4. Également dans Saint-Jean-Port-Joli : son fleuve, ses îles, son rivage et sa vie maritime, Jean Parent, 2011, p. 92 à 104.

Jean Parent pour Les amis du Port-Joli



Espace publicitaire