Je Sème à Tous Mots - 8. De la tête aux pieds 2
par Journal L'Attisée le 2021-03-08
8. De la tête aux pieds 2
En fin de texte du numéro de janvier, je vous annonçais un second volet du présent thème. Promesse tenue! Tel que je le mentionnais alors, voici maintenant que sont exploités ces attributs ou appendices, accessoires ou instruments, garnitures ou ornements qui ont atterri ou se sont positionnés sur toute tête digne de ce nom. Support de quatre des cinq sens dont l’humain est gratifié, cette noble toiture offre domicile aux porteurs de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et du goût qui y ont établi leur siège social.
Nous vient spontanément à l’esprit que l’on ne se passerait pas de nos yeux. En effet, il saute aux yeux qu’avoir bon pied bon œil fait preuve de solidité ou d’agilité. Victime de leur grande utilité, maximes, proverbes et affirmations diverses leur font la part belle :
- de la personne qui peut évaluer à vue d’œil ou juger d’une mesure avec précision, on dit qu’elle a le compas dans l’œil?;
- celle qui a de petits yeux ronds sans expression trop évidente se verra étiquetée d’avoir les yeux en boutons de bottine?;
- mangeant plus que son appétit ne puisse le nécessiter, son auteur sera considéré avoir, pour les uns, les yeux plus grands que le ventre, et pour d’autres, plus gros que la panse. Mon œil! répliquera l’intéressé quelque peu incrédule pour signifier son désaccord.
- celle qui est vigilante ne dort que d’un œil et celle qui est attentive à ce qu’elle exécute ouvre l’oeil et le bon, juge-t-on… à première vue?;
- celle qui parcourt souvent la même route plaisante en affirmant qu’elle peut s’y rendre les yeux fermés?;
- à une personne bien en vue on demande son point de vue?;
- on invite à la prudence celle qui trop souvent provoque la chance car qui risque un œil perd les deux?;
- nous sortent par les yeux la personne et l’objet que l’on a trop vus de même que les actions répétées que l’on ne peut plus supporter?;
- on n’agit pas toujours pour les beaux yeux de quelqu’un mais plutôt par intérêt?;
- on apporte soutien ou prête secours à la personne qui tourne de l’œil, s’évanouit?;
- devant une automobile qui coûte les yeux de la tête, la plupart des gens n’auront pour seul plaisir ou seule consolation que de se rincer l’œil?;
- discrètement, sans que personne ne le sache, le timide s’éclipse d’une rencontre ni vu ni connu quand l’ennui l’a gagné alors que le sans-gêne agira à la vue de tous.
Attiré par une personne aux grands yeux de gazelle, on dira l’avoir dans l’œil et, voulant l’amadouer, on la regardera amoureusement en lui faisant les yeux doux tout en évitant de paraitre mieux que l’on est en lui jetant de la poudre aux yeux. Dès lors, si l’on tient à elle comme à la prunelle de ses yeux, tout acte initié visera à lui plaire, lui taper dans l’œil, en espérant l’impressionner, l’éblouir, lui en mettre plein la vue, la regarder et l’écouter attentivement, en un mot, être tout yeux, tout oreilles, évitant toutefois les tape-à-l’œil. Il sera alors de bon aloi de multiplier les tête-à-tête pour échanger entre quatre-z-yeux et ainsi se garder de devenir loin du cœur en restant loin des yeux.
À l’inverse, d’un œil critique, se méfiant d’un tiers et préjugés parfois aidant, on le surveille du coin de l’oeil sans relâche, on l’a à l’œil, voyant d’un mauvais œil ses moindres faits et gestes, ne fermant les yeux sur aucun d’eux. L’autre, étonné et se sentant épié, lui fera de gros yeux ou s’en moquera, s’en battra de l’œil. S’il est audacieux, qu’il n’a pas froid aux yeux mais qu’il le regarde dans le blanc des yeux, il lui ouvrira les yeux, lui fera comprendre en un clin d’œil qu’il a pu se tromper, se mettre un doigt dans l’œil, voire même lui mettre les yeux en face des trous. Tout n’est cependant pas que vengeance, qu’œil pour œil et dent pour dent : le déjà vu n’est pas toujours bien vu si, en outre, il se passe au vu et au su de tout le monde.
Bien que les yeux en mettent plein la vue, les oreilles restent tout ouïe et se délectent également de quelques dictons, généralement sans conséquences. Pour certains individus, ce qu’on leur mentionne entre par une oreille et sort par l’autre. Pour d’autres, à moins de problèmes d’audition, d’être durs d’oreille, s’ils veulent entendre correctement un message ou comprendre une consigne, il importe de dresser l’oreille, d’écouter attentivement, de prêter ou de tendre l’oreille sans se faire prier, en un mot, sans se faire tirer l’oreille. C’est ainsi l’attitude appropriée pour avoir l’oreille d’une personne, être écouté d’elle. Au contraire, adopter la feinte de ne pas entendre, de faire la sourde oreille n’aura d’autre suite que d’éveiller des soupçons de l’interlocuteur, de lui mettre la puce à l’oreille.
Comme parfois les murs ont des oreilles, que des gens mal intentionnés pourraient utiliser à mauvais escient des paroles entendues, il est alors essentiel d’user de prudence et de dire les choses à l’oreille de l’autre, en toute confidence, de bouche à oreille, afin qu’il soit seul à l’entendre. Cela évite de surcroit d’avoir l’oreille basse, d’être confus ou humilié par la suite, de se faire casser les oreilles, importuner. Quoiqu’il en soit et pouvoir dormir sur ses deux oreilles, sans inquiétude, ne vaut-il pas mieux s’abstenir de parler de quelqu’un en son absence et se garder ainsi que les oreilles ne lui sifflent?
Je termine en confiant à votre réflexion ce proverbe allemand : Les yeux se fient à eux-mêmes, les oreilles se fient à autrui. De plus, je laisse à votre flair la tâche de humer à quels autres nobles occupants du visage seront destinés mes prochains bavardages.
Serge Picard