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Conte de printemps
par Journal L'Attisée le 2021-03-22

Je vous ai habitués à mes contes de Noël, pourquoi pas aujourd’hui un conte de printemps, tout aussi fictif. Celui-ci est né d’un exercice que je me suis imposé. Sa première et sa dernière phrases sont la première et la dernière du chapitre Mon chapeau rose du recueil Rue Deschambault de Gabrielle Roy. Je m’en suis inspirée pour créer un conte totalement différent. N’y voyez surtout pas prétention de ma part de maîtriser les mots comme elle l’a si bien fait.

Le pont

J’avais eu la jaunisse et maman, pour m’aider à guérir, m’acheta un chapeau rose. Ô combien l’avais-je convoité, ce chapeau, lorsqu’elle et moi passions devant la vitrine de la mercière de notre petite ville! Chaque fois je soulignais comme il s’agencerait bien avec mon nouveau manteau gris au liséré rose, tout à fait dans le même ton. Jamais cependant je n’aurais osé le réclamer clairement. Malgré mon jeune âge, j’étais consciente des efforts que faisait maman pour s’assurer que nous ne manquions de rien. Pour suppléer au maigre salaire de papa, elle acceptait des travaux de ménage, de couture. Le son de sa machine à coudre, presque tous les soirs, berçait mon endormissement. D’ailleurs ce joli manteau gris que j’aimais tant, n’était-ce pas elle qui l’avait confectionné? Avec ingéniosité, elle l’avait taillé à même le sien, si longtemps porté, élimé au col et aux poignets.

C’est donc le cœur battant de joie que je découvris le petit chapeau rose dans la boîte ronde où désormais je le rangerais avec soin. Et il me semble effectivement qu’à partir de ce jour je me mis à aller mieux. Était-ce vraiment l’effet du chapeau? Ou en étais-je au stade où la jaunisse naturellement lâchait prise? Je l’ignore. Mais mon esprit enfantin associa chapeau et bien-être, rétablissement.

Ma jaunisse eut la bonne idée de se terminer avec l’arrivée de ce que j’appelais le vrai printemps et non celui du calendrier. J’entends par là l’apparition des journées enfin douces où l’on délaisse bottes et lourds manteaux, où la neige se mue en souvenir à part quelques insolentes récidives. Je pus ainsi étrenner mon joli couvre-chef ainsi que mon manteau, tout aussi neuf pour moi que s’il fut venu du magasin. Ah, comme j’étais fière, ainsi vêtue, de marcher en tenant la main de papa ou maman dans les rues marchandes de notre quartier. J’étais persuadée que les gens qui nous croisaient et me souriaient gentiment m’enviaient d’être aussi bien parée.

Un jour où je marchais avec papa (je devrais dire trottinais puisque ses longues enjambées m’y obligeaient), nous nous engageâmes sur le pont qui surplombait la rivière. J’adorais observer l’eau tourbillonner dans son voyage perpétuel. Je me demandais jusqu’où elle allait, quelles contrées elle parcourait. À ce moment le débit printanier était à son comble. Pour me faire plaisir, papa me souleva afin de m’offrir une meilleure vue de ce spectacle. Si l’eau s’écoulait à une vitesse folle, que dire du vent qu’il faisait. Il eut tôt fait de me ravir mon chapeau sans que ni papa ni moi n’ayons le temps de réagir. C’est en pleurant que je le vis s’éloigner sur les tourbillons, vers ces lieux inconnus et mystérieux. J’étais inconsolable, papa était désolé, tentait de m’apaiser en me serrant dans ses bras. Soudain il me dit : « Regarde qui vient là! » C’était ma tante Aline qui s’engageait sur le pont et marchait vers nous. Tante Aline, ma tante préférée, celle qui savait trouver les mots pour consoler. Papa me posa par terre et me dit « Allez, va la rejoindre ». Et moi, je courus au-devant de ma tante mettre ma main dans la sienne.



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