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Je Sème à Tous Mots - 9. De la tête aux pieds 3
par Journal L'Attisée le 2021-05-10

9. De la tête aux pieds 3

(Bouche en cœur et nez en trompette!)


Dans le numéro de mars dernier, je laissais à votre flair la tâche de humer à quels autres nobles occupants du visage seraient destinés mes prochains bavardages. J’interviens à nouveau, innocemment, la bouche en cœur, sans vouloir vous tirer les vers du nez pour savoir si je vous mis l’eau à la bouche mais en croyant plutôt que vous avez le nez fin, de la perspicacité, de la clairvoyance.


C’est en toute confidence, de bouche à oreille, que j’amorce mon propos par ce proverbe algérien affirmant : ¨Dans bouche close ne pénètre mouche, mais dans bouche ouverte elle fait son nid. ¨ À ceux qui se font souvent aller les babines ou dont on dit que la bouche n’a pas de dimanche parce qu’ils parlent sans s’arrêter, voilà une invitation, toujours gagnante, à taire ce que l’on n’est pas obligé de dire. Elle rejoint cet autre proverbe ¨Qui sait se taire ne prend pas le risque de regretter ses paroles.¨ Ainsi, en restant bouche cousue, on évite de dévoiler des secrets et, tout en se dispensant de le regretter, s’en mordre les lèvres, de voir un interlocuteur demeurer bouche bée, surpris, voire stupéfait! Toutefois, tel qu’admis depuis des générations, le monde étant ce qu’il est, il se trouve souvent quelqu’un pour parler à bouche que veux-tu, à profusion, plus qu’on ne veuille l’entendre ou quelqu’un qui en a plein la bouche, est prétentieux et intervient avec insistance, même quand il a la bouche pleine. Bien qu’il y ait souvent loin de la coupe aux lèvres chez ces forts en gueule, alimentés de tels exploits, les indulgents simuleront être pendus à ses lèvres, les patients garderont le silence sans desserrer les lèvres et les sceptiques répondront du bout des lèvres, sans conviction.



Siège de plus d’un usage, la cavité buccale n’a pas que des mots à régurgiter. Aspirant à de grandes tâches, ne lui a-t-on pas confié le noble rôle de sauver la vie de noyés sur qui, sans qu’ils en soient les seuls bénéficiaires, peut se pratiquer le bouche-à-bouche? Que dire aussi de sa mission d’ingurgiter aliments et breuvages? Les provisions de bouche qu’elle accueille, si elles réjouissent parfois à s’en lécher les babines, pourront aussi produire occasionnellement l’effet contraire chez certaines gens qui feront les fines bouches, les dédaigneux, les difficiles, les petites bouches, les bouches en cul de poule, en un mot, qui ne mangent que du bout des lèvres. Mais on ne saurait enlever le pain de la bouche à qui ne possède que le nécessaire : ce n’est certes pas la personne qui aura le cœur sur le bord des lèvres à chaque fois qu’elle doit se restaurer mais plutôt celle qui se réjouit à s’en délecter à la vue de toute denrée qui lui passe sous le nez.


Et si nous laissions maintenant la parole à notre appendice nasal?


À première estimation ou, si vous préférez, à vue de nez, notre organe olfactif n’est pas en reste pour susciter des expressions qui lui collent au nez. Il a su générer plusieurs actions à travers les âges. Ainsi, on dira de la personne curieuse ou indiscrète qu’elle fourre son nez partout ou qu’elle se met le nez dans les affaires des autres. Voulant en savoir toujours plus, elle questionnera habilement sa proie pour lui tirer les vers du nez, tentant parfois de la mener, à sa guise, par le bout du nez. En réaction spontanée, la victime qui a du nez sera tentée de lui opposer un pied de nez ou de lui rire au nez. La tolérance n’étant pas présente au berceau de chacun, avoir quelqu’un dans le nez, éprouver de l’animosité pour cette personne n’aura d’autre effet que de lui fermer la porte au nez, geste approprié avant d’en arriver à se disputer violemment, à se manger le nez.


Celui que la clairvoyance honore ou dont on dit qu’il a le nez creux saura sentir l’opposition à plein nez. Il ne sera nul besoin de lui montrer l’évidence car, pour lui, elle se voit comme le nez au milieu de la figure. Il n’est point nécessaire de la lui jeter au nez car il voit plus loin que le bout de son nez et ne se cassera pas le nez dans la moindre aventure. Il ne craint pas de se montrer le bout du nez ou de mettre le nez dehors de peur de se retrouver nez à nez avec un opposant et il sait d’autant plus respirer avec les trous de nez. Il réussit les doigts dans le nez, sans difficulté, à résoudre ses différends. À l’inverse, l’imprudent ne prévoit pas toujours ce qui risque de lui arriver, ce qui lui pend au nez bout, ou ne voit pas ce qui est juste devant lui, ce qu’il a au bout du nez, et s’expose ainsi à se casser le nez à des portes closes.


En conclusion sur ces deux inséparables compagnons du visage, mentionnons que ne passant pas inaperçus, ils se sont invités dans la littérature au fil des ans. Quand certains auteurs leur ont attribué honneur, d’autres les ont peints d’humour. À titre d’exemple, alors qu’Alfred de Musset philosophe en déclarant « La bouche garde le silence pour écouter parler le cœur », Eugène Ionesco ironise « Un nez qui peut voir vaut deux nez qui reniflent. »


Serge Picard



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