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Soir d’Halloween rue de la Sorbonne
par Journal L'Attisée le 2021-10-29

Elle est bien en vue à la fenêtre, tout comme ses congénères du voisinage. La citrouille illuminée au faciès jovial attend la ribambelle d’enfants dont fourmillera ce soir notre rue. Déguisés qui en princesse, qui en pirate, lapin ou super héros, les marmots en la voyant sauront que notre maison leur est ouverte, la récolte prometteuse. Les friandises, pas encore diabolisées à l’époque, sont prêtes. Dès le souper terminé, à la hâte faut-il le préciser, maman nous aide à nous préparer. Les costumes sont ajustés, les  recommandations d’usage prodiguées : prudence en traversant les rues, veiller sur les petits, être polis et ne pas oublier de passer chez tante Marie vous savez qu’elle vous attend. Comme toujours, nous attendions ce soir magique avec impatience. C’est le cœur en fête que nous entreprenons notre tournée.

Restée seule à la maison avec sans doute le ou les plus jeunes du moment, maman accueille avec plaisir la faune bigarrée qui défile dans notre petite rue. Après une longue période d’intense affluence, l’achalandage diminue, les enfants se font plus rares et elle se dit que nous rentrerons sans doute bientôt.

La sonnette retentit à nouveau. Maman constate qu’il ne s’agit pas d’enfants mais d’un homme. D’allure inquiétante, pauvrement vêtu, courbé, le visage balafré. Elle se dit, pauvre homme, il profite de ce soir où les gens sont généreux pour peut-être récolter quelques sous. Elle entrouvre et entend : « La charité s’il-vous-plaît madame ». « Un instant » lui répond-elle en refermant pour aller chercher un peu de monnaie. Alors qu’elle la lui tend il avance un pied en disant « Est-ce que je peux entrer? » « NON » crie-t-elle en repoussant la porte, affolée, le cœur battant la chamade. Elle s’empresse ensuite d’aller verrouiller la porte arrière. Paniquée, voyant que l’homme est toujours sur le balcon, craignant que nous arrivions sur les entrefaites, elle saisit le téléphone pour appeler la police? Mon père au travail? Je ne sais plus. Au moment où elle compose le numéro, elle entend l’intrus qui crie « Lucienne, Lucienne, aie pas peur, c’est moi, c’est Raymond! » Eh oui, c’est notre cher oncle Pat (époux de la susdite tante Marie) qui voulait lui jouer un tour. Blague qui tournait bien autrement qu’il l’avait imaginé, croyant qu’elle le reconnaîtrait plus tôt. Mais la pénombre et surtout le bas de nylon qu’il s’était enfilé sur la tête l’avaient rendu méconnaissable. D’autant plus que le fameux bas s’était déchiré, produisant sur la joue une cicatrice repoussante. Oh, le soulagement de maman en constatant sa méprise.

Aujourd’hui, lorsque nous, les enfants, reparlons de cet incident, nous nous disons que notre oncle avait certainement amèrement regretté ce mauvais tour. Nous savons à quel point il aimait notre mère, d’un amour presque paternel car il avait, à quelques années près, l’âge de ses parents. S’il avait pensé ne serait-ce qu’une seconde lui causer une telle frayeur, jamais (jamais dans 100 ans, comme disait maman) il n’aurait agi de la sorte. Quant à elle, malgré la peur ressentie ce soir-là, elle ne lui en a pas tenu rigueur.



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