Ode à la beauté
par Journal L'Attisée le 2022-04-20
PAR ISABELLE PARADIS
Voit-on encore la beauté qui nous entoure ? Maintenant habitués à ces laideurs modernes, d’architecture carrée, grise, brune et maussade, ces grands espaces de béton et de bitume ou paysages sans arbres ni relief, est-ce que nos yeux savent encore voir le détail, la couleur, la joie de l’expression, du mouvement ou de la texture ?
Lorsque l’on a passé plusieurs années à côté de ce fleuve scintillant, sous le regard des saillantes montagnes de Charlevoix et des vieilles bâtisses riches de vécu, réussit-on encore à les voir à leur pleine valeur ? Je veux dire… les voir réellement, les ressentir jusqu’au fond du cœur, assez profondément pour goûter cette nourriture pour l’âme ?
On nous a laissé entendre, cet hiver, que la Culture n’était qu’un divertissement… Est-ce dire que la beauté, muse importante de l’Art n’est plus qu’un divertissement ? Que de regarder le fleuve ne fait que me changer les idées ? Que la profonde plénitude, paix, douceur, voir l’Amour que je ressens à son contact ne serait plus qu’un élément anodin de mon vécu ? Qu’est-ce que la beauté et quelle est sa place dans notre société ?
Revenir en région éloignée des grands centres était un peu pour moi une volonté de me raccrocher à la beauté. Bien que la facilité, la monétarisation de l’esthétique et la paresse du vouloir s’étendent un peu partout quant à nourrir l’ensemble de nos sens, les campagnes sont encore un peu préservées. Mais la ligne est ténue. Les abords d’autoroute s’enlaidissent toujours plus, les quartiers s’uniformisent, les bâtisses modernes sans textures côtoient de plus en plus celles que les années ont habillé de dentelles et de richesses.
Bravo à des initiatives comme cet extraordinaire bâtiment qui forme les ateliers du Vivoir ou les contemporaines mais nourrissantes architectures comme le Bistro OK. Merci aux faiseux de beaux espaces comme le coin du phare ou du Parc des Trois-Bérets. Bravo à tous ceux et celles qui créent, réparent ou transforment en nourriture pour la vue ce qui nous entoure. La tâche est grande. L’argent n’est jamais bien loin et même les meilleures intentions ne réussissent pas toujours à surpasser cette économie basée sur le plus, plutôt que le beau. Mais de grâce. Ne tassons pas la beauté derrière un simple surplus, utile que pour nous changer les idées. C’est bel et bien une vertu essentielle, et je suis certaine qu’en cherchant, je trouverais un paquet de données scientifiques pour exprimer son importance bien, bien au-delà du divertissement.
Faisons-y attention. Saint-Jean-Port-Joli a une longueur d’avance avec le fleuve, ses bâtiments historiques bâtis au moment où l’économie n’en était pas une de productivité, et son héritage qui laisse une grande place à l’Art. Mais tout ça est fragile. Ça prend de la volonté. Politique bien sûr. Mais citoyenne aussi… Pour vous en convaincre, retournez au bord du fleuve, respirez, mais respirez vraiment, jusqu’à ce que la beauté vous entoure le cœur. Comment ne voudrait-on pas avoir cette sensation tout le temps. Il n’en tient qu’à nous.
On y voit des paysages immenses aux paillettes d’argent
Ligne d’accent circonflexe au visage riant
Glissant sa lumière sur l’éternité
On y sent la douceur du vent sur l’onde dansante
Habitée de charme et de pureté changeante
Dans une ronde poussant son souffle jusqu’à nous
On y entend le fier clocher d’histoire vivante
Sous la protection des années forces-déferlantes
Montrant le chemin aux oiseaux fous
On y vit une remplitude d’espérance-amour
Digne du tableau du poète sourd
Avançant vers la souveraine beauté.