Menu principal

Ces petits riens qui tissent notre vie
par Journal L'Attisée le 2022-04-13

PAR LOUISE CHOUINARD

Hommage à ce petit plus qui nous est donné à tous :
le sel de la vie


Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d’exister, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements politiques et de tous ordres. (Françoise Héritier)

Qui n’a pas, un jour, été émerveillé par la splendeur d’un paysage hivernal ? Le scintillement du soleil sur les minuscules cristaux blancs, tel une rivière de diamants tombée du ciel.

Assise devant ma fenêtre en ce jour froid de février, je transpose ces milliards de flocons en moments ordinaires qui ont tissé ma vie, qui sont le « sel de la vie ». Je vous en livre ici sans envolées littéraires ni figures de style, plutôt dans une longue phrase pigmentée de virgules.

Au risque de vous ennuyer gravement, je vous énumère des frémissements, des interrogations et des déconvenues auxquelles on permet d’exister.

…jouir du spectacle des gens dans la rue, retrouver des amis qu’on n’a pas vus depuis longtemps, regarder un vieux film de Louis de Funes, cueillir des cerises à grappes et sentir ses dents ternies et rudes, se laisser jouer dans les cheveux chez la coiffeuse, blottir ma tête au creux de son épaule, faire des listes, compter les marches en montant un escalier, ressentir une impression de déjà vu lors d’un voyage à l’étranger, sauter de caillou en caillou au bord d’une rivière, manger un cornet de crème glacée à deux boules, éprouver de l’émotion à la levée du drapeau de mon pays, moment de plénitude devant le rocher Percé, dormir dans des draps séchés au vent, se poser la question : est-ce que les gens se souviennent de moi comme je me souviens d’eux, l’arôme du pain sortant du four, prendre un enfant par la main, boire un chocolat chaud au retour d’une randonnée en skis, danser la valse, me faire du sucre à la crème, écouter Brel, apprendre l’anglais sur la boîte de céréales en déjeunant , enfermer des mouches à feu (lucioles) dans un pot, me réveiller sans savoir où je suis, éprouver de la difficulté à jeter un livre, frétiller d’aise dans du cachemire, avoir mauvaise conscience pour avoir tardé à répondre à une lettre ou un courriel, cueillir des pissenlits et les offrir en bouquet à ma mère, voir des formes étranges dans les nuages, effeuiller une marguerite, sentir le doux poids d’un chat sur mes genoux, boire dans mes mains en coupe, réussir à siffler avec deux brins d’herbe, apercevoir les perséides, tremper mon pain dans le sirop d’érable, lire un dictionnaire pour le plaisir des mots, lancer un caillou sur l’eau pour produire des ricochets, étrenner un vêtement, pleurer au cinéma, trouver un trèfle à quatre feuilles, crier pour entendre l`écho, attraper une mouche d’un seul coup de main, dessiner des pipes à la bouche des personnages historiques dans mes livres d’école…

Toujours assise devant ma fenêtre et le ciel floconneux, j’entends la charrue qui déblaie la rue. Elle chasse la neige et mes petits riens s’envolent.



Espace publicitaire