Mille feuilles - Des trains et des cartes postales
par Journal L'Attisée le 2022-06-30
Chaque mois je vous propose des livres que j’ai aimés, certains plus que d’autres évidemment. Ce mois-ci, je vous avoue que chacun des titres évoqués mériterait la mention coup de cœur. Un grand cru ! Prenons d’abord le train. En voiture !
Pas un jour sans un train (2021) de Robert Lalonde. Dans ces carnets, l’auteur nous relate quelques-uns de ses voyages en train, mode de transport qu’il affectionne particulièrement. Il raconte qu’il y écrit, observe les voyageurs qui peuvent être source d’inspiration, rêve. En outre il imagine des voyages effectués par des auteurs qu’il aime. Ainsi on accompagne sur les rails Gabrielle Roy, Arthur Rimbaud, Gabriel Gárcia Márquez et nombre d’autres. Une proposition originale dans laquelle il insère des clés de sa créativité, de son processus d’écriture. Il faut (...) laisser les chats sortir du sac un à un, créer une atmosphère malaisée et pour ainsi dire banale, mettre la puce à l’oreille du lecteur, avancer comme roule parfois l’orage, lointain, attendu mais muet, inoffensif encore. J’adore la plume de Lalonde.
On m’a gentiment prêté ce livre, d’une auteure que je ne connaissais pas. Merveilleuse découverte : Le train des enfants (2021) de Viola Ardone. Naples, 1946. Après la guerre, bien des familles ont du mal à se relever des privations vécues. Amerigo, presque 8 ans, raconte sa vie avec sa mère qui l’élève seule. Leur existence est marquée de deux absences : celle d’un fils mort en bas âge et du père parti faire fortune (supposément) en Amérique. Une association communiste organise une opération pour soustraire les enfants à la misère. Amerigo découvrira une vie plus aisée Moi des cadeaux je n’en ai jamais eu, à part la vieille boîte à couture où j’ai mis tous mes trésors. Un roman très touchant inspiré de faits historiques. L’auteure illustre avec justesse les déchirements de l’enfant entre son amour pour sa mère et cette nouvelle vie. Et elle évite avec doigté d’offrir une fin rose bonbon.
Paris-Briançon (2022) de Philippe Besson. Bientôt le train s’élancera, pour un voyage de plus de onze heures. Le train de nuit. Chacun a ses raisons de le prendre : obligations familiales ou professionnelles, vacances, fuite. Dans le huis clos des compartiments, des liens improbables se tissent entre inconnus. Besson décrit avec justesse l’intimité que crée le hasard de ces rencontres où on se livre facilement, sans crainte d’être jugé. Une mise en situation qui pourrait être banale, un suspense efficace qui s’installe peu à peu.
Maintenant les cartes postales.
La carte postale (2021) d’Anne Berest. Ici, on parle d’un récit plutôt que d’un roman. Cette histoire rocambolesque a bel et bien été vécue par l’auteure. En janvier 2003, Lélia reçoit une carte postale adressée à sa mère Myriam décédée depuis longtemps déjà et qui n’a jamais vécu à cette adresse (…) elle était là. La carte postale. Glissée entre les enveloppes, l’air de rien, comme si elle s’était cachée pour passer inaperçue. Non signée, on n’y lit que quatre prénoms, ceux des parents de Myriam, de sa soeur, de son frère. Tous morts à Auschwitz en 1942. Mauvaise blague, message codé vu le timbre posé à l’envers ? Malaise et consternation accueillent la missive, bientôt mise de côté et presque oubliée. Bien des années plus tard, l’auteure, fille de Lélia, décide de mener une enquête afin de découvrir qui l’a écrite et pourquoi. Une quête d’identité qui la conduira vers l’histoire de ses arrière-grands-parents partis de Russie. Que signifie être descendant de victimes de l’Holocauste, quel poids porte un unique survivant d’une famille décimée ? Un récit poignant, aux mille méandres dignes d’un roman policier. Un livre qui nous habite longtemps après les dernières pages.
Le vieux monde derrière nous (2022) d’Olivier Kemeid. En 1968, alors âgé de 22 ans, le père de l’auteur entreprend, en partant de Montréal, une odyssée en Vespa à travers l’Europe qui doit ultimement le conduire à Beyrouth, son lieu d’origine. Kemeid reconstitue son périple à partir de cartes postales envoyées à son amoureuse, qui deviendra sa femme. Arrivé à Paris en plein chaos de mai 68, les rencontres et les péripéties seront nombreuses autant sur la route que lors des séjours en divers lieux. La pluie s’est installée depuis trois jours dans les Bouches-du-Rhône, ce qui permet à la tribu de l’Auberge de jeunesse de Marseille de faire connaissance (…). Un livre étonnant, aux phrases interminables (parfois sur plus d’une page !) truffées de références familiales, historiques, géopolitiques, le tout assaisonné d’un humour certain et d’une tendresse toute filiale.
Bonne lecture, bon été !