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Nuit féerique
par Journal L'Attisée le 2023-08-04

La petite dort depuis longtemps. Le souper à peine terminé nous l’avons trouvée, pouce à la bouche et doudou dans les bras, affalée sur le divan ; elle n’avait pas résisté au passage du marchand de sable. Nous n’avons eu qu’à la transporter sur son lit, le bain attendra demain. Épuisée par sa journée au grand air, elle revit sans doute en rêve la découverte des lieux, des animaux, ses jeux avec les autres enfants. Ce séjour à quelques heures de chez nous est pour notre puce une grande aventure, pour nous une heureuse parenthèse.

La quiétude de l’endroit nous enveloppe. La maison où nous logeons, sise à quelques pas de la ferme qui nous accueille, nous procure dans son cocon de verdure un refuge loin de notre quotidien. La chaleur persiste et signe, bien incrustée dans tous nos pores. Pas pressés d’aller au lit, nous nous asseyons sur la terrasse. Les mouches noires ont baissé pavillon. Les parfums qui exhalent des champs, du boisé avoisinant, sont exacerbés par le serein. Ils s’ajoutent aux murmures du soir, aux bruits feutrés de la nature assoupie. À part les étoiles, aucune source lumineuse, un épais bosquet dissimule la demeure de nos hôtes pourtant tout près. Ce pourrait être une nuit d’histoires à faire peur, si ce n’était de la paix environnante. Une fraîcheur réconfortante s’installe subrepticement, une brise légère se lève, répit bien accueilli par nos corps alanguis.

Un peu avant minuit, juste au moment où ce jour veut céder le pas au suivant, nous sommes intrigués par de faibles lueurs qui naissent à l’horizon. Tout d’abord timides, incertaines, elles prennent peu à peu de l’ampleur. Avec l’ampleur viennent les couleurs, avec les couleurs les mouvements, une véritable chorégraphie se déclenche, folle farandole de feux-follets. Nous constatons que le ciel sort pour nous son grand jeu et nous offre des aurores boréales sur écran géant. Nous sommes aux premières loges et goûtons ce spectacle comme s’il n’était donné qu’à nous, privilégiés, d’y assister. Le temps suspend son vol, la magie opère durant de longues minutes, nous accueillons cette féerie de tous nos yeux, de tout notre être. Lorsque graduellement les feux s’étiolent, nous restons longtemps vissés à nos chaises à absorber ce que nous venons de vivre. La tête et le coeur imprégnés de cette splendeur, nous allons finalement dormir.

Le lendemain matin, encore habités par ce moment de grâce, (avons-nous rêvé ?) nous nous rendons à la ferme pour déjeuner avec les autres vacanciers. Les aurores boréales de la veille sont le sujet de conversation, même nos hôtes n’en avaient jamais vu de telles.

Nous sommes à Saint-Michel-des-Saints, en juillet 1987.



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Rachel  Grou  nuit  féerique  
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