Le discours des oies
par Journal L'Attisée le 2023-11-09
Par Isabelle Paradis
À ce temps-ci de l’année, la nuit, du haut de ma fenêtre ouverte au nord, œil espion du fleuve et de ses fières montagnes, j’entends les oies chanter. Elles ne cessent de caqueter, se relayant l’une après l’autre dans un discours sans fin. Noirceur ou pas, elles jasent. Que peuvent-elles bien se dire ? Parlent-elles aux étoiles ? Se content-elles leur journée ? S’avertissent-elles du moindre soupçon de danger, qu’elles voient partout car on le sait, la vie sauvage est cruelle ?
Néanmoins, moi, elles me bercent, m’endorment doucement. Elles m’entourent de notes rassurantes, parce qu’entendues toute ma vie, de musique qui évoque la puissance de leur voyage, le rythme de leurs apparitions au fil des saisons, et donc, la sécurité. Plutôt que le cœur d’une maman, ce sont les oies qui pourvoient en ce moment, d’une certaine façon, à ma solidité. Comme peut l’être le son régulier des vagues, la pluie qui tapote de façon douce et régulière sur le toit ou la mésange qui tourne autour de moi dans les bois l’hiver. Je vois un papillon butiner mes fleurs et c’est suffisant pour qu’une prière de gratitude jaillisse de mon Être, qu’un sentiment complet de communion avec la Terre m’enlace. Un bourdon s’est endormi bien au creux des pétales de cette opulente fleur jaune et mon âme sourit. Merveilleux bêta, heureux dans son univers sans Pensée.
Je fais partie d’un tout. Que serais-je sans ça ? Que serais-je sans l’élégant érable qui se teint couleur de feu à ce temps-ci, sur lequel je peux méditer, bien visible devant la fenêtre où se trouve ma chaise de repos ? J’ai besoin des miens. Les humains. J’ai besoin de jaser, du sourire d’un visage rayonnant, de partager. Mais je suis d’un ensemble bien plus grand. Sans les autres règnes, je suis incomplète. Juste discuter, parler, agir et réagir comme les humains le font, ce n’est pas suffisant. Il manque le soutien invisible des peuples incompris parce qu’il ne nous parle pas avec des mots… Mais ils sont là. Tellement là. Mon souffle est lié au leur, il n’y a pas de doute. Et mon chant n’est bonheur que parce qu’ils ont le leur.
Petite et grande à la fois
Minuscule point dans une mer de montagnes sans temps
Je regarde au loin et me vois à la hauteur de ces géants.
Petite et grande à la fois
Minuscule point au milieu de la terre d’immensité
La rivière roule un rayon doré jusqu’à mes pieds.
Divinité enlacée de rocher
Divinité élancée d’humanité
Les deux ne peuvent que s’aimer.