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Cher Dany (élucubrations sur le thème des citations)
par Journal L'Attisée le 2024-06-06

Par Rachel Grou

Cher Dany, je suis heureuse de savoir que vous ne condamnez pas le recours aux citations. Vous faites fi de ces rabat-joie qui prétendent qu’elles servent à se mettre sous le parapluie de quelqu’un de plus connu. Quant à moi je dis qu’on en use, sans qu’on en abuse. D’ailleurs, Dany, vos propos au sujet de l’écriture m’inspirent régulièrement, vous êtes de bon conseil et j’ai plaisir à vous citer. Ne dites-vous pas : Visez le cœur du lecteur, même si l’on sait que c’est avec sa tête qu’il lit. (1) Ou encore cet impayable affirmation : Quand vous cherchez depuis un moment à décrire la pluie qui tombe, essayez : il pleut. (1)

 

Quel délice qu’une citation bien placée pour appuyer un propos.  Est-il question d’une jeune personne aux réussites remarquables, pourquoi ne pas le souligner d’un approprié Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années. (2) Et pour rester dans Le Cid, qui ne s’est pas amusé à dénaturer son Rodrigue, as-tu du cœur?? (2) en y répondant Non, père, je n’ai que du carreau??

 

De tous temps, les hommes d’état ont fait des déclarations restées célèbres. Que ce soit Louis XVI et son C’est une révolte?? (À quoi on répondit Non sire, c’est une révolution) jusqu’au général De Gaulle et son tonitruant Vive le Québec libre?! en passant par Churchill et son No sport?!, plusieurs de ces phrases sont attestées, documentées. D’autres par contre sont apocryphes. Ainsi je doute fort qu’au moment de mourir, comme certains le prétendent, Shakespeare aurait dit J’expire… D’autant plus improbable qu’il parlait, dit-on et quelle coïncidence, la langue de Shakespeare, ce qui rendait le jeu de mots impossible.

 

Certains incipits ont fait école, on n’a qu’à les entendre pour reconnaître les ouvrages qu’ils amorcent.   Je pense à Longtemps je me suis couché de bonne heure (3) ou bien à Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas,(4) ou, sur un ton plus léger à Doukipudonktan? (5)

 

C’est parfois la beauté, la sagesse, la musicalité des mots qui font que l’on retient des bribes de lecture. Comment ne pas être touché en lisant On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux?? (6) Comment ne pas être chaviré par Un seul être vous manque et tout est dépeuplé (7)?? Peut-on ne pas sourire devant Il dit oui avec la tête mais il dit non avec le cœur il dit oui à ce qu’il aime il dit non au professeur?? (8)

 

Je suis d’une fratrie tintinophile, nous avons lu être lu les aventures du petit reporter. Pas étonnant que nos conversations soient parfois ponctuées de répliques qui en sont issues. Chauffeur, suivez cette voiture?;  c’est à la fois très simple et très compliqué?; une larme, un soupçon ou encore le savoureux Dieu ait son âme, mais c’était un rude coquin (9), nous avons adopté ces phrases et les utilisons abondamment.

 

Dany, je ne saurais poursuivre ce laïus sans vous présenter celle qui fut ma championne des citations, maman. Elle était spécialisée dans les citations chantées. La moindre situation, un mot entendu l’amenaient à pousser quelques notes d’une des incalculables chansons qu’elle connaissait. Avait-elle du mal à retrouver une date, une information, elle accompagnait sa réflexion de J’ai la mémoire qui flanche, je m’souviens plus très bien. Se laissait-elle tenter par une gourmandise, elle se justifiait avec C’est bon pour le moral, c’est bon pour le moral. Qu’on lui dise «?Attends-moi?» elle répondait Attends-moi ti-gars, tu vas tomber si j’suis pas là. Était-il question d’un beau jeune homme, c’était Il était jeune, il était beau, il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire. Son registre était vaste : français et québécois de diverses époques, répertoire enfantin comme celle-ci que lui inspirait la présence d’oiseaux aux mangeoires En as-tu vu, en as-tu vu, des p’tits oiseaux, qui ont l’bec, qui ont l’becque...  À l’autre bout du spectre, elle pouvait aussi bien en cherchant une épingle à cheveux y aller de Bobépine?! Nous l’avons parfois mise au défi en lui imposant des mots au hasard. Elle était incollable.

 

L’univers des citations est infini Dany, et je pourrais aisément m’y éterniser si je ne craignais de vous lasser, vous et mon fidèle lectorat. On pourra toujours y revenir.  Je conclurai donc sur ces mots d’un grand homme de petite taille : Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de me dire « À la prochaine fois?». (10)

(1)   Dany Laferrière, Journal d’un écrivain en pyjama

(2)   Corneille, Le Cid

(3)   Marcel Proust, À la recherche du temps perdu

(4)   Marcel Camus, L’étranger

(5)   Raymond Queneau, Zazie dans le métro

(6)   Antoine de Saint-Exupéry, Le petit prince

(7)   Lamartine

(8)   Jacques Prévert, Le cancre

(9)   Hergé, Albums Tintin

     (10) RenéLévesque, 20 mai 1980



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